Cela ne souffre du moindre doute. Le franc CFA est aujourd’hui entré dans une zone de fortes turbulences dans les espaces monétaires UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine) et CEMAC (Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale). Et que son avenir se présente désormais en pointillé dans ces espaces économiques régionaux.
Même si les approches adoptées par les deux sous-régions semblent diverger, toujours est-il que le problème de fond reste le même : s’émanciper du franc FCFA. D’ailleurs, contrairement à sa consœur CEMAC, l’UEMOA semble un peu plus avancée sur le dossier en dépit de quelques écueils.
En effet, depuis juin 2019, au sommet d’Abuja (Nigeria), après plusieurs décennies de volonté politique, les chefs d’Etat de la Communauté des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ont concrétisé ce projet de monnaie unique en signant un accord qui entérine la création de l’Eco pour 2020.
Suite à cet accord, Emmanuel Macron et les Etats membres de l’UEMOA signent un nouvel accord de coopération monétaire mettant fin au Franc CFA, le 21 décembre de la même année à Abidjan (Côte d’Ivoire). Cet accord a charrié d’importantes décisions. L’on retient entre autres que la France n’interviendra plus dans la gouvernance de l’UEMOA. Néanmoins, elle conservera son rôle de garant et prêteur en dernier ressort du moins, dans un premier temps. Cette réforme, indique-t-on, répond à la volonté légitime des pays de l’UEMOA de gérer leur monnaie déjà commune.
En matière de gouvernance, l’on note également un profond changement. Outre le changement de nom, la France et les pays de l’UEMOA ont aussi décidé de la fin de l’obligation, pour la Banque centrale régionale des pays d’Afrique de l’Ouest (BCEAO), de déposer au moins 50% de ses réserves de change sur le compte d’opérations auprès du Trésor français et le retrait des représentants français des organes de décision et de gestion de la politique monétaire régionale. L’objectif in fine, étant de se débarrasser d’une monnaie jugée coloniale pour se détourner de la France et renforcer l’intégration régionale et la coopération économique et monétaire entre les pays ouest-africains.
Initialement prévue en juin 2020, le projet a malheureusement connu un premier retard à l’allumage. Mais à l’issue d’un sommet tenu en juin 2021 à Accra au Ghana, les quinze Etats de la CEDEAO sont revenus à la charge avec l’adoption d’une feuille de route en vue du lancement de cette monnaie commune en 2027. Et pour ce faire, les pays travaillent d’ores et déjà pour enfin honorer cette échéance.
Une dynamique également mise en œuvre en zone CEMAC
Le processus de la réforme monétaire est également amorcé en zone CEMAC. En effet, à l’issue de leur Conférence tenue 22 novembre 2019 à Yaoundé, « sur la situation économique, financière et monétaire dans la zone CEMAC et l’analyse des perspectives des économies de la sous-région », les chefs d’État de la sous-région « ont réaffirmé leur volonté de disposer d’une monnaie commune stable et forte. Concernant particulièrement la coopération monétaire avec la France, portant sur le franc CFA. Pour ce faire, ils ont décidé d’engager une réflexion approfondie sur les conditions et le cadre d’une nouvelle coopération ».
Dans la perspective cette nouvelle coopération monétaire avec la France, ils ont chargé la Commission de la CEMAC et la BEAC de proposer un schéma approprié, conduisant à l’évolution de la monnaie commune. Ils ont à cet effet réitéré leurs orientations à la Commission de la CEMAC et la BEAC d’ouvrir une réflexion sur le cadre et les conditions de cette nouvelle coopération monétaire avec la France, lors de la Conférence Extraordinaire du 21 août 2021.
Les bases d’une nouvelle coopération monétaire entre la CEMAC et la France
Le colloque sous régional de haut niveau organisé par la Commission de la CEMAC à Libreville (Gabon) du 17 au 18 novembre dernier, axé sur le thème : « Monnaie et développement en Afrique centrale » y va de cette volonté de créer les conditions de ce nouveau cadre de coopération monétaire entre la CEMAC et la France.
Cette réflexion a ainsi impliqué universitaires (Enseignants et chercheurs) et praticiens du monde financier sur la manière de faire évoluer le contexte monétaire en vue de garantir aux pays de la CEMAC des meilleures conditions de développement.
En termes d’objectifs spécifiques, il devait aboutir à la formulation des idées sur la manière de revisiter la Convention de coopération monétaire avec la France. Il était donc entre autres question, de produire les éléments d’analyse pouvant permettre de répondre à la mission confiée par les plus hautes autorités de la CEMAC à la Commission et à la BEAC. Cela, afin de faire évoluer le cadre de cette nouvelle coopération monétaire avec la France.
Notamment en ce qui concerne : le choix de régime de change adéquat du franc CFA en lien avec la question de rattachement du franc CFA avec l’euro ou à plusieurs devises ; la gestion des réserves extérieures eu égard au problème de l’hétérogénéité des situations nationales et la discipline macroéconomique.
Les critiques du franc CFA
Les contempteurs du franc CFA ne manquent pas d’argument à faire valoir. Leurs griefs portent entre autres sur le fait qu’il ne profite qu’à une minorité d’élite rentière africaine qui place son argent en Europe et que les billets sont imprimés à Chamalières et à Pessac, dans le centre de la France, par une imprimerie de la Banque de France mais également que les pays assujettis à la zone franc doivent déposer 50% de leurs réserves de change au Trésor français, non sans déplorer le fait que la France participe à la gouvernance des instances de l’UEMOA de la CEMAC.
Faut-il rappeler, depuis 1973, le premier accord de coopération monétaire entre la France et l’UEMOA prévoit que : la valeur du Franc CFA est indexée sur le cours de l’euro ; la convertibilité entre le Franc CFA et l’euro est illimitée ; les capitaux peuvent circuler librement à l’intérieur de la zone franc, mais aussi vers la zone euro. Il en résulte un rapatriement massif dans les banques européennes.
Pour les pourfendeurs du franc CFA, une nouvelle monnaie permettrait de se soustraire à cette tutelle française, supprimer la garantie extérieure et obtenir une plus grande souveraineté monétaire. Cela permettrait surtout aux Etats ouest africains et de la CEMAC de desserrer les contraintes sur l’inflation et le déficit budgétaire, afin de mettre en œuvre des politiques d’investissement. Une idée qui s’inscrit dans le cadre du traité d’Abuja au Nigeria en 1991, instituant l’Union africaine et prévoyant la mise en place d’une monnaie unique dans chacune des régions du continent, pour une future fusion monétaire.